Tout juste auréolée d’un Oscar, le premier de l’histoire du Pakistan, la réalisatrice Sharmeen Obaid-Chinoy a lancé mardi une campagne pour éradiquer les attaques à l’acide qui défigurent chaque année plus d’une centaine de femmes, thème de son oeuvre primée.
La victoire de la jeune réalisatrice de 33 ans, couronnée dans la catégorie du court métrage documentaire pour « Saving Face » (« Sauver la face » ou « Sauver le visage »), coréalisé avec l’Américain Daniel Junge, était largement saluée mardi par les médias et réseaux sociaux pakistanais. Le reportage suit notamment le chirurgien pakistano-britannique Mohammad Jawad, revenu dans son pays d’origine pour aider les victimes des attaques à l’acide à se reconstruire un visage et une vie, et plusieurs de ses patientes. Jusqu’à 200 femmes, punies notamment par des amants éconduits ou en vertu de « crimes d’honneur » familiaux, sont ainsi châtiées chaque année dans le pays. Lors de la cérémonie, diffusée en direct dans son pays lundi matin, Mme Obaid-Chinoy avait dédié son Oscar à « tous les héros qui travaillent sur le terrain au Pakistan, dont le docteur Mohammad Jawad » et à « toutes les femmes qui oeuvrent pour le changement » dans une société où la majorité des femmes restent soumises à la volonté de leur famille ou de leur mari. « N’abandonnez pas vos rêves, ce prix est pour vous », avait-t-elle ajouté. Au lendemain de ce couronnement sous les yeux du monde entier, l’équipe du documentaire a lancé sur son site internet une campagne destinée à populariser le combat contre les attaques à l’acide. « Le film doit permettre d’aller plus loin que la seule exposition de ces crimes horribles, il doit contribuer à résoudre ce problème et apporter de l’espoir pour l’avenir », déclare M. Junge sur le site http://www.savingfacefilm.com. « Cela fait longtemps déjà qu’elle (Sharmeen Obaid-Chinoy) mène campagne contre les attaques à l’acide, mais cet Oscar lui fournit les moyens de lutter encore plus efficacement dans ce but », a expliqué à l’AFP la mère de la lauréate, Saba Obaid, interrogée à Karachi. « Cette campagne vise à rendre notre société plus humaine et à trouver des solutions pour ceux qui sont victimes de ces brutalités injustes », a-t-elle ajouté.
« HONTE NATIONALE »
Le Parlement pakistanais a alourdi l’an dernier les peines encourues
par les coupables de tels assauts, désormais passibles d’un minimum de 14 ans de prison et d’une amende d’au moins un million de roupies (8.300 euros environ). La campagne est menée en partenariat avec l’Acid Survivors Pakistan, une ONG pakistanaise qui aide et soigne les victimes de ces attaques. Selon sa présidente, Valérie Khan Yusufzai, une Française mariée à un Pakistanais, huit attaques à l’acide ont été recensées par la police depuis le début de 2012. « Nous devons profiter de l’élan et le renforcer pour faire adopter de nouvelles lois complétant celle adoptée en mai 2011 », a-t-elle déclaré à l’AFP, soulignant qu’il fallait notamment améliorer les procédures judiciaires pour reconnaître ces crimes et développer l’assistance aux victimes. Le premier Oscar de l’histoire du Pakistan était largement salué dans le pays, parenthèse médiatique enchantée pour un Etat plus habitué à faire les gros titres pour ses violences, sa pauvreté ou sa corruption endémique. Félicitée par le Premier ministre Yousuf Raza Gilani, Sharmeen Obaid-Chinoy était portée aux nues mardi par les médias et réseaux sociaux locaux, plus libéraux que la majorité des quelque 180 millions de Pakistanais. Les principaux quotidiens, de langue anglaise comme ourdoue, avaient barré leur une de photos grand format où la lauréate, émue et souriante, brandit la statuette la plus convoitée du cinéma mondial. Mais si « ce prix est un motif de fierté personnelle et nationale », les histoires décrites dans le documentaire sont « une honte nationale », prévient le quotidien anglophone The News, en rappelant que le Pakistan « est considéré comme le troisième pays le plus dangereux au monde pour les femmes après l’Afghanistan et la république démocratique du Congo ». De ce point de vue, le travail de Mme Obaid-Chinoy « dresse face à nous un miroir qui peut nous permettre de faire une autocritique nécessaire », ajoute-t-il. (AFP)